L’HISTOIRE DES PONTONNIERS

Le 26 novembre 1812, dans l’eau glacée de la Bérézina, quatre cents « pontonniers » s’évertuent à monter les passerelles de bois qui sauveront les débris de la « Grande Armée ». La plupart de ces héros obscurs mourront de froid dans les jours suivants. Quatre-vingt-dix ans plus tard, on procède au démontage de la caserne où résidait en temps de paix, de 1792 à 1870, ce corps ingénieux, stoïque et modeste, spécialisé dans le génie militaire et la construction des ponts.

Fondée en 1815 à Strasbourg, l’école supérieure de jeunes filles était à l’étroit dans un local de la cour d’Andlau. Les pères conscrits de la Municipalité tenaient à donner à leurs filles une éducation soignée et moderne, avec en particulier une bonne connaissance de l’allemand et du français.

Aussi le Conseil Municipal ne lésina-t-il pas sur la construction d’un établissement modèle qui fut achevé de justesse pour la rentrée de 1902. La conception architecturale est pour le moins originale.

Avec son clocheton néogothique, ce bâtiment conçu par l’architecte Gustave OBERTHUR, illustre la tendance « pittoresque », opposée au style officiel néo-renaissance de l’Empire Germanique. Il faut savoir qu’ayant récupéré en ville et en divers lieux les éléments décoratifs sacrifiés aux impératifs de l’urbanisme moderne, les architectes avaient eu l’idée d’organiser la construction nouvelle en conséquence.

On sait ainsi que la maison du Katzeroller, rue du Parchemin, a fourni les superbes boiseries de la façade donnant sur la rue, mais qui a remarqué l’image de la maison détruite, pérennisée sur carrelages émaillés sur la face intérieure du portail d’entrée ?

L’oriel qui prolonge la salle des professeurs provient, pour partie du moins, de l’ancien « poêle » des boulangers rue des Serruriers et daterait de 1589. Des bouts de vitraux ou de carrelages rapportés de maisons disparues se combinent astucieusement avec des reconstitutions modernes si bien réussies qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer le vrai du faux.

Comme l’écrivait l’architecte de la ville, chargé de superviser l’opération : « Les professeurs sont fiers de montrer ces exemples d’art local aux milliers de jeunes filles qui passeront une grande partie de leur jeunesse dans ce bâtiment. Ils les sensibiliseront bien davantage à leur ville natale que quelques visites de musées. Elles seront ainsi poussées à rechercher elles-mêmes de semblables chefs-d’œuvre dans les rues et maisons et contribueront par-là à leur conservation ».

De la « Höhere Mädchenschule », l’établissement a été promu en 1918 « Lycée de Jeunes Filles » et fut pris en charge par l’Etat ; c’est aujourd’hui le Lycée International où les adolescents s’exercent à manier toutes les langues européennes.

CHRONOLOGIE :

1299 Des franciscaines venues de Haguenau s’établissent en face de Saint-Etienne et fondent le petit couvent de Sancta Clara in undis (« im Woert » différent de Sainte-Claire, place Broglie).

1681 Quand Strasbourg devient ville française et place frontière fortifiée d’après le système de Vauban, le terrain abrite une caserne pour divers régiments (Picardie, Dauphiné, Normandie.

A partir de la Révolution c’est le quartier des droits de l’Homme. Le régiment des Pontonniers qui jouera un rôle primordial pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, s’y établit pour un siècle.

1890 Après avoir obtenu l’autorisation de l’Empereur Guillaume, la municipalité fait démolir la caserne et construire un établissement secondaire de jeunes filles. Le « Rectorat d’Alsace-Lorraine » exige que le style du bâtiment soit conforme à celui du XVe siècle strasbourgeois.

En janvier 1903 fut inaugurée, rue des Pontonniers, la « Höhere Töchterschule » avec dix classes.

1918-1930 « Lycée Municipal »

1930 Le lycée est intégré dans la série des Lycées d’Etat.

1972-1973 Le Lycée se nomme officiellement « Lycée classique et moderne d’Etat Mixte ».

Juillet 1975 Le Lycée prend officiellement le nom de « Lycée des Pontonniers »

1979 Arrêté ministériel du 23 mars 1979 : le Lycée des Pontonniers de Strasbourg est érigé en établissement international destiné à accueillir dans une même collectivité scolaire des élèves français et étrangers. Il est composé de classes secondaires de premier et second cycle.

1982 Décret du 30 décembre 1982 : création du collège d’Etat par transformation du premier cycle du Lycée d’Etat.

1992 Création de la classe préparatoire H.E.C, option scientifique.

1999 Transfert du 1er cycle (collège) vers le site de l’Esplanade.

2002 Le bâtiment est inscrit à l’inventaire des monuments historiques.

2005 1er janvier : transfert à la collectivité régionale

UNE ARCHITECTURE

Un lycée de la Neustadt

A la fin du 19ème siècle, la municipalité de Strasbourg décide la mise en chantier d’un bâtiment entièrement consacré à l’enseignement secondaire des jeunes filles. Le service d’architecture de la ville prend en charge cet important chantier, dirigé par l’architecte en chef Johann Karl Ott qui en livre les plans. Un bâtiment de classes, une petite maison pour le concierge, une maison de fonction pour le directeur du lycée, un grand gymnase font partie du programme initial. Le coût du nouveau lycée de jeunes filles s’élève à 425 000 Marks. Le lycée originel voit le jour à l’issue d’un chantier mené de 1901 à 1902. Suite à la destruction des deux grands bâtiments de l’ancienne caserne des Pontonniers, les travaux de terrassement, de gros-œuvre et d’aménagement intérieur du lycée sont rapidement menés. La date 1902 découpée dans la girouette couronnant la flèche de la tour d’escalier principale rappelle aujourd’hui l’année d’achèvement de ce grand chantier. La cérémonie d’inauguration du nouveau lycée de jeunes filles a lieu le 26 janvier 1903.

Un lycée de style régionaliste

L’architecte J. K. Ott exprime, dans un petit fascicule consacré au chantier du lycée, son désir de réaliser un condensé de l’art local tenant en un seul lieu. L’inspiration stylistique est donc essentiellement strasbourgeoise, le bâtiment combine des références au gothique tardif et à la Renaissance. J. K. Ott a pour ambition de sensibiliser les jeunes filles à l’architecture de leur ville natale et de leur région. Le lycée, véritable manuel à ciel ouvert, permet ainsi d’aiguiser la sensibilité des élèves. La façade principale du bâtiment de classes avec ses pignons à gradins cite la Pfalz, l’ancien hôtel de ville de Strasbourg démoli en 1780. Les motifs de la balustra du balcon donnant sur la salle des professeurs sont proche de ceux de l’octogone à la cathédrale de Strasbourg. L’oriel de la salle des professeurs s’inspire de la maison Mueg au 22 rue des serruriers. Quant à la façade de la maison directoriale, elle présente la grande originalité de réemployer une structure en pan de bois d’une maison ancienne, l’auberge nommée Der Katzeroller (ou le matou). Représentée sur des carreaux de céramique au revers du portail principal, cette maison bâtie en 1586, est détruite en 1902 lors de travaux d’élargissement de la rue du Parchemin. Pour J. K. Ott, le style Renaissance de l’ancienne auberge détermine le parti pris stylistique de la maison du directeur d’une part et celui de l’ensemble des bâtiments composant le futur lycée d’autre part.

Un lycée pittoresque

La composante pittoresque de l’ensemble des bâtiments tient tout d’abord à la diversité des matériaux, à leur texture et polychromie : grès gris pour les encadrements moulurés des portes et des fenêtres, grés rose pour le soubassement donnant sur le fossé du Faux-rempart. C’est au niveau des toitures que la diversité des matériaux est la plus manifeste : tuile cuite moulée dite en langue de chat ou Biverschwantz, cuivre pour les campaniles, le bulbe et les flèches, tuiles vernissées en vert pour la toiture de l’oriel.

La qualité des murs de clôture en fer forgé, encore en place aujourd’hui, montre le soin apporté par l’architecte à tous les aspects de la construction. Le pittoresque est dû aussi à la silhouette complexe des différents bâtiments : décrochements, retraits et jeux de dissymétrie au niveau des versants de la toiture témoignent d’un souci d’animation. L’élévation du bâtiment principal est particulièrement remarquable : un oriel d’angle, coiffé d’une flèche élancée, dialogue avec une majestueuse tour d’escalier semi-circulaire.

Cette tour marque la transition entre les deux volumes de l’aile principale et domine le paysage avec son imposante toiture surmontée d’un bulbe polygonal se terminant par une flèche à girouette. Les formes et dessins des encadrements de fenêtres sont différents selon les niveaux : soit en arc segmentaire, soit rectangulaire. Enfin des éléments décoratifs ponctuent les façades et témoignent d’un goût pour le détail comme pour l’anecdote. Ils rappellent la fonction éducative du bâtiment : deux chouettes, symboles du savoir, accueillent le visiteur au portail principal, jadis réservé aux professeurs

Des médaillons de deux célèbres pédagogues Johann Heinrich Pestalozzi et Friedrich Fröbel ornent la porte d’entrée de la maison du concierge, une fausse gargouille en cuivre découpé, représentant un dragon, est fixée à la rencontre des toitures de la maison directoriale, rue des Pontonniers.